Inégalités réduites: Doter tous les enfants du Togo d’une identité légale
Elise, 26 ans, couturière de formation, voudrait ouvrir un compte dans une banque de proximité pour épargner une partie de ses revenus et bénéficier d’un prêt.
Pas d’existence légale sans acte de naissance
Au Togo, l’acte de naissance est délivré par un agent d’état civil dans un délai de 45 jours suivant l’évènement.
« Vu que je suis née au village et à la maison, c’était impossible de déclarer ma naissance à l’état civil car il faut un certificat médical pour ça », explique Elise avec une voix triste.
« Maintenant, je dois me battre pour me faire établir un jugement supplétif et c’est assez compliqué. Nous sommes 7 et tous mes frères et sœurs sont dans le même cas », ajoute-t-elle.
Au Togo, 22% des enfants ne disposent pas d’acte de naissance. Ces chiffres augmentent lorsqu’on s’aventure en zone rurale. Les données de l’UNICEF renseignent que 31% des enfants vivant en zones rurales ne disposent pas d’acte de naissance. Allengueyere Kpelintike, agent d’état civil en charge de l’enregistrement des naissances dans le canton d’Atalotè, dans la région de Kara, explique que « dans le passé, il n’était pas si certain que votre enfant survive car les probabilités de décès d’enfant étaient extrêmement élevées. Les parents avaient donc tendance à attendre jusqu’à ce que leur enfant soit plus âgé avant de penser à lui faire établir l’acte de naissance. Et bien sûr à ce moment-là, le délai légal de 45 jours était depuis longtemps dépassé ».
Pourtant, sans acte de naissance, personne n’existe. Sans acte de naissance, un enfant ne peut prétendre à aucun autre droit : ni le droit à la santé, ni le droit à l’éducation ni le droit à la protection. Un enfant sans identité légale devient un citoyen invisible. C’est pour cela que des actions sont prises afin de remédier à la situation
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Des actions pour doter tous les enfants d’un acte de naissance
En juin 2020, l’Union Africaine (UA) et l’UNICEF ont lancé la campagne « Mon nom est personne ». Cette campagne vise à doter tous les enfants africains d’un acte de naissance. L’une des approches adoptées est l’installation des centres d’état civil dans l’enceinte des formations sanitaires. L’approche réduit ainsi les couts de déplacement des parents pour obtenir cette pièce. L’autre avantage est que le personnel soignant peut référer rapidement aux agents de l’Etat civil les enfants qui ne disposent pas d’acte de naissance lors des visites de contrôle post natal ou lors de la vaccination.
Au Togo, cette approche a permis aux services de santé de notifier aux services d’état civil 169.289 naissances du 1er janvier au 30 novembre 2021. A ce jour, 28 districts sur les 44 du pays (64%) assurent l’interopérabilité des secteurs/services santé-état civil pour l’enregistrement des naissances.
« La mise à échelle de l’interopérabilité est la voie sûre pour aller vers l’universalité de l’enregistrement des naissances au Togo », assure Dr. Aissata Ba Sidibé, la Représentante résidente de l’UNICEF au Togo.
«En numérisant les systèmes d’enregistrement civils et en centralisant les données sous la forme d’une identité légale, nous pouvons mieux coordonner les services, ce qui est particulièrement important pour les enfants des zones reculées ou affectés par des conflits ou catastrophes, quand ils passent les frontières », a ajouté le Pr Harrison Victor, Commissaire aux Affaires économiques de l’Union africaine. « Le lancement de cette campagne “Mon nom n’est personne” fera progresser les actions étroitement imbriquées en faveur de l’accès à la justice des mineurs, en partant de la question éminemment vitale de l’enregistrement des naissances», conclut-il.
Cette collaboration a abouti à la construction d’un bâtiment dédié à l’enregistrement des naissances à côté du centre de santé d’Atalotè. Allengueyere a remarqué le changement positif que le nouveau bureau a apporté :
« Le bâtiment a contribué à formaliser le processus d’enregistrement des naissances et à mieux centraliser le travail qui se fait dans les 14 communautés qui relèvent de ma responsabilité »
Le HCR appuie également le gouvernement togolais dans l’atteinte de l’objectif 0 enfant sans certificat de naissance. Le 12 février 2021, l’organisation a remis un lot de matériels informatiques au ministère de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et du Développement des Territoires. Ce don vise à appuyer le gouvernement togolais dans le processus de modernisation de l’état civil et l’amélioration du système d’enregistrement, de traitement et d’archivage des actes de naissance pour mieux lutter contre l’apatridie. Le 30 novembre 2021, à l’occasion d’une session de sensibilisation du corps diplomatique sur le sujet, le ministre de la Justice togolais, M. Pius Kokouvi Agbétomey a indiqué clairement que la citoyenneté s’appuie sur le fait fondateur de la naissance et qu’ainsi l’acte de naissance constitue le socle de la nationalité.
Le Gouvernement Togolais, couple depuis 2019 les Journées de Santé de l’Enfant (JSE) avec le recensement des enfants n’ayant pas d’acte de naissance. Ainsi, entre 2019 et 2021, environ 37 000 enfants de moins de cinq ans, n’ayant pas d’acte de naissance, dont 54% de filles, ont été référés par les Agents de santé communautaire aux centres d'état civil dans les régions de la Kara et des Savanes. 41% des enfants référés (un peu plus de 15 000) ont obtenu leurs jugements supplétifs d’actes de naissance à la suite des audiences foraines organisées par les acteurs de la justice.
Afin d’encourager les déclarations de naissance, le gouvernement a décidé de la gratuité des déclarations qui interviennent dans le délai légal de 45 jours après l’accouchement à partir du 1er janvier 2022. Malgré cette grande avancée en matière de gratuité, de nombreux défis encore se posent pour le respect des 45 jours: l’ignorance par les parents de l’importance de déclarer les naissances, les accouchements à domicile, l’éloignement des services d’état civil... Le plaidoyer de l’UNICEF vise donc à porter le délai légal de 45 jours aujourd’hui à 90 jours!