Togo: l’agriculture aux prises avec les changements climatiques
Le dérèglement climatique, de plus en plus perceptible dans les localités, impacte négativement la production agricole.
Le dérèglement climatique et la baisse de productivité agricole
Bombouaka, dans la région des Savanes, à l’extrême nord du Togo. Il est 9h du matin. Dame Salama, la quarantaine, usée par le poids des travaux champêtres, exprime sa désolation face à la pluie qui tarde à se manifester : "L'année dernière, nous avons perdu certaines parties de nos cultures à cause des poches de sécheresse qui se développent de plus en plus". Elle renchérit, inquiète : “pourtant, il a beaucoup plu dans la région maritime. On ne sait même plus quand commencer les opérations culturales.”
Tout comme Salama, beaucoup d’agriculteurs ont constaté une baisse de leur production liée au dérèglement climatique. Dans les régions de la Kara et des Savanes, l’on relève des rendements agricoles bas, en-deçà de la moyenne, ainsi qu’une disparition du couvert forestier. En 2023, la FAO a estimé à “3 800 milliards d’USD la valeur de la production végétale et animale qui a été perdue à la suite de catastrophes climatiques et d’autres désastres au cours des trente dernières années ; ce qui correspond à des pertes annuelles moyennes de 123 milliards, soit 5% du produit intérieur brut (PIB) agricole mondial annuel”. L’organisation a précisé que “ces catastrophes surviennent aussi de plus en plus souvent : alors qu’on en dénombrait une centaine par an dans les années 1970, la moyenne annuelle est aujourd’hui de 400”.
Au Togo, les inondations ont détruit 6.902 hectares de cultures (maïs, riz, mil, sorgho, igname …) en 2020, avec des pertes estimées à 9.000 tonnes. Pour le ministre de l’Environnement, Katari Foli-Bazi, ‘Les estimations sur la base des pertes de rendement moyen, des superficies emblavées et l'évolution des prix des différentes cultures à l'échelle nationale, donnent un déficit annuel moyen de plus 25 milliards de Fcfa’.
Outre les inondations, le pays doit également faire face à la sécheresse. Une étude de la Direction générale de la météorologie nationale (DGMN), devenue l’Agence Nationale de la Météorologie (ANAMET) révèle de façon générale une diminution de la pluviométrie et du nombre de jours de pluies et une baisse du ratio pluviométrie. Entre 1960 et 2010, les données de température ont augmenté de 2°C pour la ville de Lomé. Les données climatiques et celles de l’évolution du climat sur la même période (1960-2010) montrent un paradoxe de risques d’inondation. Ainsi, les situations extrêmes contradictoires (inondation, fortes chaleurs, décalage des saisons, mauvaise répartition des pluies, vents forts...) se suivent et créent une confusion au niveau des[1] populations dont l’activité principale est l’agriculture. Selon les projections à l’horizon 2050, l’indice de vulnérabilité du secteur agricole devrait passer de 0,70 à 0,75 au Togo[2].
Des actions pour pallier le phénomène
Afin d’atténuer l’impact des changements climatiques sur la production agricole, les spécialistes recommandent des mesures d’adaptation notamment la valorisation des terres incultes, l’exploitation de la diversité climatique, la maîtrise de l’eau, une utilisation rationnelle et optimale des intrants agricoles et la restauration du couvert végétal.
Le Togo qui envisage d’augmenter son couvert végétal d’environ 26% d’ici à 2030, a lancé une campagne nationale de reboisement depuis 2020 : des millions d’arbres sont plantés annuellement. Chaque année, à l’occasion de la journée de l’arbre, les Nations Unies au Togo s’impliquent, aux côtés des autorités nationales, les élus locaux et les leaders communautaires, dans les opérations de mise en terre des plants. Ainsi en 2022, les chefs d’agences du système des Nations Unies (SNU) ont mis en terre une centaine d’arbres à Aného, cité balnéaire dans le Sud-Est du pays, où la mairie de la ville vise, à terme, la création d’un jardin botanique constitué de plantes médicinales. Dans la même dynamique, le personnel du PNUD a mis en terre plus de 300 plants à Baguida, dans la même région. En 2024, c’est la localité de Tsévié, à une trentaine de kilomètres de Lomé qui a accueilli le personnel de UNFPA pour les opérations de reboisement, de concert avec les stagiaires de l’Ecole nationale des sage-femmes.
Avec le concept ‘Un agriculteur, des arbres’, la FAO appuie la restauration des terres et encourage les producteurs agricoles à intégrer la culture des arbres dans leurs activités. L’organisation a mis en terre plus de 16.000 plants pour réduire l’érosion des sols et atténuer les effets du changement climatique.
Autrefois, nous avions beaucoup d’arbres sur nos parcelles et il pleuvait régulièrement. Mais aujourd’hui, nous avons constaté une diminution des précipitations depuis que nous avons commencé à abattre les arbres. Nous avons donc mis en terre les jeunes plants de Fraké pour restaurer notre écosystème agricole à Amavénou,
confie Djo Alato, producteur agricole dans le village d’Amavénou, au Sud Togo.
En 2024, le Fonds International pour le Développement Agricole (FIDA) a également appuyé le Togo avec un don de 2,43 millions USD à la Coordination Togolaise des Organisations Paysannes et de Producteurs Agricoles (CTOP) pour développer le maraîchage agroécologique, une méthode de production agricole qui vise à respecter les systèmes et cycles naturels, maintenir et améliorer l’état du sol, de l’eau et de l’air, la santé des végétaux et des animaux, ainsi que l’équilibre entre ceux-ci.
L’importance de la question de l’adaptation au changement climatique mobilise des efforts au delà des frontières des États et renforce la coopération régionale. Ainsi, le projet « Volta Flood and Drought Management » (VFDM) de l’Organisation météorologique mondiale (OMM) aide les pays du bassin de la Volta (Mali, Côte d’Ivoire, Burkina Faso, Ghana et le Togo) à mettre en œuvre des actions coordonnées et conjointes pour améliorer leur système d’alerte précoce (SAP) et leurs plans de gestion.
Mettre en place des ZAAP et faciliter l’accès à l’eau aux agriculteurs
Face aux effets néfastes du dérèglement climatique, le grand défi de l’agriculture togolaise reste la maîtrise de l’eau et l’irrigation. A la suite d’une étude diagnostique réalisée en 2021, le gouvernement togolais a développé une stratégie nationale d’irrigation destinée à répondre durablement aux effets des aléas climatiques, notamment dans les zones d'Aménagement Agricole Planifiées (ZAAP).
Selon les objectifs de la feuille de route gouvernementale 2020-2025, le Togo vise à étendre ses surfaces cultivées dans les agropoles (zones d’activité à vocation agro-industrielle et logistique) à 160.000 hectares d'ici à 2025. En novembre 2023, le Togo comptait un total de 222 Zones d'Aménagement Agricole Planifiées (ZAAP) à travers le territoire, couvrant une superficie totale de 32.230 hectares, selon le ministère de l’agriculture. Deux centres ont d’ores et déjà été lancés, à Tchitchao pour le compte de la région de la Kara et à Tové pour le compte te la région des Plateaux. Les ZAAP sont essentiellement consacrées à deux types de productions : les produits vivriers (10 900 hectares en tout), et l'anacarde (900 hectares). Pour la campagne 2023-2024, près de 2200 producteurs dont 1/3 de femmes, ont pu exploiter sur ces sites, 6 200 hectares aménagés pour le maïs, le soja, le riz, le sésame et l'anacarde.
Afin de faciliter l’accès des petits producteurs aux systèmes d’irrigation, 2 500 kits à pompage solaire subventionné à 50% ont été déployés pour la mise en valeur d’au moins 2500 hectares de maraichage sur toute l’étendue du territoire. Par ailleurs, la réalisation de 500 ha de terres irriguées à partir de forage d’eau est en cours sur 50 sites ZAAP aménagés. Les dispositions sont prises actuellement par le ministère chargé de l’Agriculture pour rendre ces kits d’irrigation disponibles dans toutes les préfectures.
Toutes ces actions revêtent une importance particulière car l’atteinte de l’ODD2 “faim zéro”, passe par une production agricole suffisante et accessible à toute la population. Ces efforts de facilitation de l’accès à l’eau dans les zones agricoles devraient permettre à Salama et ses compagnons de la localité de Bombouaka de continuer leurs activités agricoles en toute quiétude. La crise climatique et la crise alimentaire étant indissociables, des investissements accrus dans l’adaptation des systèmes agroalimentaires pour faire face aux effets du changement climatique sont nécessaires pour le bénéfice des peuples et de la planète.
[1]https://www.unccd.int/sites/default/files/country_profile_documents/1%2520FINAL_Plan_national_Secheresse_Togo_final_janv2019.pdf
[2][2] Ministère de l’Environnement et des Ressources forestières : « Première communication relative à l’adaptation aux changements climatiques au Togo”, p.32, togo-ad-comm-fr.pdf (unfccc.int)