Le Togo en guerre contre le mariage des enfants

Salma, 40 ans, a été mariée à 13 ans, par ses oncles. Orpheline de père, ce fut une solution pour se débarrasser de cette bouche supplémentaire à nourrir.
Les mariages des mineurs, un phénomène qu’accentue la pauvreté
Salma voulait être couturière. Au décès de son père, à 12 ans, elle a dû enterrer ce rêve avec lui. « A 13 ans, mes oncles m’ont trouvée un mari polygame 3 fois plus vieux que moi et ni ma mère, ni moi n’avons eu droit à la parole », explique-t-elle d’une voix triste. Revenue du marché un soir, sa mère lui avait annoncé la décision sans appel de ses oncles. « Je n’ai rien pu dire. Chez nous, un enfant ne doit jamais désobéir à ses parents », ajoute-t-elle. Depuis, elle a fui son mari et son village de Djarkpanga pour se retrouver à Lomé et ne le regrette guère. « Je n’étais pas du tout heureuse. J’ai fugué un beau matin. Voilà comment je me suis retrouvée à Lomé et je ne le regrette guère car je n’ai jamais aimé cet homme. Lui non plus ne m’a jamais aimée. Il me violait toutes les nuits et me maltraitait », se justifie Salma avec un soupir de soulagement.
Tout comme Salma, Rabi, 36 ans, mère de 4 enfants, a été mariée de force à 16 ans. « J’ai tout perdu. Ma vie, ma liberté, mes études… », confie-t-elle. « A aucun moment de ma vie, je n’ai dit à mes parents, voici l’homme avec qui je veux me marier. C’est plutôt eux qui m’ont montré celui qui doit m’épouser. Avant même qu’ils ne m’informent, ils ont tout préparé. J’avais 16 ans et j’étais en classe de 5ème. L’homme à qui on m’a donnée avait 50 ans à l’époque. C’était un homme riche. Mes parents m’ont dit qu’il peut mieux s’occuper de moi. Cet homme m’a tout pris. 10 ans après le mariage, je n’arrive pas à m’en remettre. Je regrette surtout de n’avoir pas continué mes études», raconte-t-elle, avant de conclure résignée que «la vraie Rabi est morte».
Loin d’être des cas isolés, les situations de Salma et Rabi sont très répandues dans les zones rurales pauvres où les parents font de nombreux enfants et se retrouvent en difficulté face à ce trop grand nombre de bouches à nourrir. Dans ces régions, la scolarisation des filles est un combat difficile. « L’école est perçue comme un long chemin incertain », explique Alidou Zakali, enseignant. « Les familles, souvent confrontées à une extrême pauvreté, voient dans le mariage un moyen de réduire leur charge financière ou de régler des dettes. Les filles, quant à elles, grandissent avec la certitude que leur avenir se décide sans elles », explique-t-il.
Selon le rapport périodique soumis par le Togo au titre de la Convention relative aux droits de l’enfant en 2023 au Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, « en 2017, 25% des jeunes filles étaient mariées avant l’âge de 18 ans ». Des adolescentes placées en apprentissage, des jeunes collégiennes et parfois même des écolières du primaire sont mariées de force, souvent livrées par leurs propres parents.
Des actions pour sensibiliser contre le phénomène
La loi togolaise interdit le mariage avant 18 ans par l’article 267 du Code de l’enfant qui fixe l’âge de la nuptialité à 18 ans révolus. La pratique est punie par un (01) à (03) trois ans d’emprisonnement et une amende de cent mille (100.000) à un million (1.000.000) FCFA. Par ailleurs, les dispositions de l’article 43 du Code togolais des personnes et de la famille stipulent que « l’homme et la femme choisissent librement leur conjoint et ne contractent le mariage que de leur libre et plein consentement ». Le texte précise, en écho aux différents mécanismes internationaux de protection des enfants et des mineurs, que « l’homme et la femme avant dix-huit ans ne peuvent contracter mariage». Pourtant, ces dispositions peinent à être respectées. Ces dernières années, plusieurs initiatives ont été mises en place dans le cadre de la lutte contre les mariages précoces et afin d’améliorer les conditions de vie des adolescentes. Des campagnes de sensibilisation sont organisées pour informer les populations de cette disposition et les inviter à son respect.

Le 07 mai 2025, le gouvernement avec l’appui de ses partenaires dont l’UNICEF, a lancé une campagne nationale de sensibilisation contre le mariage des enfants et les grossesses précoces. L’initiative vise à renforcer la prévention de ces phénomènes qui compromettent l’avenir des filles. La campagne s’articule autour de plusieurs activités, entre autres, des séances de sensibilisation dans les écoles, des discussions communautaires, des journées de réflexion et des actions de proximité dans les villages et quartiers. L’objectif est de favoriser une prise de conscience collective et de promouvoir des comportements responsables. Un numéro vert, le 8250, permet de dénoncer toute violence ou tout dysfonctionnement constaté dans un établissement scolaire.
Rappelons la date sombre du 13 décembre 2024, où Dagnon Justine, une adolescente de 13 ans mariée de force par son père pour rembourser une dette familiale de 127.000 FCFA, s’est donnée la mort. Forcée à un mariage contre son gré, Justine a subi des violences conjugales et psychologiques avant de mettre fin à ses jours en ingérant un produit toxique. Son cas, emblématique des lacunes dans l’application des lois togolaises, a provoqué une onde de choc et mis à nu les terribles conséquences du mariage forcé qui peuvent aller jusqu’à la mort. Souvent trop jeunes, à peine pubères, plus vulnérables, beaucoup de ces jeunes filles ne se remettent jamais des séquelles de ces mariages forcés.

Lors de la campagne de sensibilisation, le Dr Pascal Fogan Nakou, Conseiller juridique et technique au ministère de l’Action sociale, de la solidarité et de la promotion de la femme a martelé que « les parents, les représentants légaux, ainsi que chaque leader, chef religieux ou traditionnel, doivent garantir à chaque fille le droit de grandir, d’apprendre et de s’épanouir pleinement avant de devenir épouse ou mère ». Espérons que cette campagne qui ne sera pas la dernière va nous rapprocher du but ultime qui est de maintenir les milliers de Salma, Rabi et Justine sur les bancs de l’école, dans les ateliers, et surtout, en tant qu’actrices de leur propre destin. Un pas dans l’atteinte de l’ODD 5 qui est pour l’égalité des sexe!
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